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Les voies/voix du doute en service social scolaire

  • laupuech
  • 11 sept.
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 15 sept.

Une équipe d'assistants de service social en faveur des élèves et leur conseiller technique , qui engagent un travail sur le doute, voici une approche originale et fort peu pratiquée. Prendre du temps, ensemble, pour penser la question du "doute", je ne l'ai jamais vu jusque-là, même si des doutes sont régulièrement partagés autour d'une situation. Mais faire du doute la question au travail, voilà qui est déjà original et dit quelque chose de la pensée de cette équipe. La pensée, c'est à dire la capacité à mettre au travail des mots, des concepts, des pratiques... Le travail social est un travail intellectuel qui se conjugue avec des actes. il n'est travail social producteur d'impact qu'à cette condition.


Que cette équipe du bassin Sud-Ouest du service social en faveur des élèves de l'Académie de la Réunion, se soit saisie du Manuel du travailleur social sceptique comme un de ses supports de réflexion a été pour moi un motif de satisfaction. Une idée, pour être féconde, doit être prise et mise au travail par d'autres. L'échange en visio que j'ai pu avoir avec cette équipe au travail, permettant une riche discussion, est venu renforcer cette satisfaction : cette équipe se mobilisait dans la durée, par pour un simple débat mais bel et bien pour une dispute professionnelle, où on échange et confronte pour faire et refaire le métier.


Et puis, ils ont cheminés.


Quelques temps plus tard, j'ai reçu un écrit commun réalisé à l'issue de leur réflexion partagée, texte qu'ils avaient présenté à d'autres collègues, pour expliquer leur cheminement et susciter le débat. Leur idée ? Créer un dialogue entre les différents Doutes !

Tant le texte que sa conclusion montrent la solidité professionnelle de cette équipe : "Au commencement de notre réflexion sur le doute nous nous étions posés la question de savoir comment éliminer le doute pour passer à l’écrit dans une situation de risque de danger. Après avoir creusé cette notion de doute nous nous sommes rendus compte que l’on pouvait au contraire l’intégrer, et même le cultiver, comme un outil de recherche d’objectivité."


Je leur ai donc proposé de le partager en nommant, sous réserve de leur accord, le groupe qui avait produit cette réflexion.


Merci à Mathieu BOSI, Conseiller Technique de service social coordonnateur et Vanessa ABDOU, Sophie ANNETTE, Maeva ANS, Nadia BARET, Laurence BENARD, Martine BENCHERIF, Clément BONDAL, Julie GOUBERT, Evelyne LEBON, Lola MELLONI, Anthony MUSSARD, Rosalie PHILIPPE, Claudine PROMI, Jessy RIVIERE, Caroline ROUSSEL, Assistants de service social en faveur des élèves, d'avoir accepté. Et merci pour ce travail dont vous trouverez la présentation par eux et leur article ci-dessous.

Voici la présentation par eux de leur travail :

En matière de prévention de la protection de l’enfance, s’il est une notion qui accompagne notre fonction d’assistant de service social en faveur des élèves, c’est (sans aucun doute) celle du doute. Lorsqu’un écrit de protection de l’enfance est envisagé le doute s’invite souvent et interroge le bien-fondé de la rédaction, la pertinence de la temporalité, l’adhésion des familles et ses ressources supposées, la décision « juste » d’une transmission à la CRIP…

Nous avons décidé de nous mettre collectivement à l’épreuve de cette question que nous avions pourtant bien mal formulée au départ, cherchant à effacer, sinon à réduire au maximum le doute de notre pratique.

D’abord difficile à mettre en réflexion sans revenir à son essence, moins aisé à manipuler qu’un protocole, le doute pourrait être un poil à gratter dans le confort de nos pratiques établies. Pourtant, au fil de nos recherches, réflexions et rencontres, le doute a changé de statut. D’inhibiteur dans la prise de décision, il s’est révélé fondateur de la relation d’aide, interrogeant nos prises de responsabilités à travers une posture éthique, sincère et respectueuse des personnes.

« Les voies/voix du doute » est le résultat d’une année de d’exploration en équipe pour partager notre cheminement à se réapproprier l’importance de ne pas faire porter aux familles que nous accompagnons la responsabilité de notre propre doute.



Et voici leur écrit Voies et voix du doute :


Doute : Je suis le doute. Je suis l’état naturel de l’esprit qui s’interroge sur l’existence ou la réalisation d’un fait. Je suis l’incertitude de la vérité de paroles, de la conduite à adopter dans une circonstance donnée.


On parle de moi, on philosophe sur ma nature, sur mes intentions, mes torts, mes qualités. Montaigne me disait existentiel, comme si je ne pouvais jamais atteindre avec certitude la connaissance et la vérité. Il faut douter de tout. Il m’invoquait aussi bien pour l’existence d’un Dieu que pour des faits scientifiquement établis tel que deux plus deux égale quatre.

Descartes, lui, était plus méthodique ; Il parlait de moi comme le moyen d’accéder à la vérité. Je serais selon lui « une purification intellectuelle qui rend à la lumière naturelle sa rectitude perdue et sa clarté offusquée par les préjugés ». C’est beau. Tendre à la vérité c’est considérer toute chose comme incertaine et s’imposer de le vérifier

D’accord avec lui, Alain m’a qualifié de sceptique ; Il ne faudrait jamais croire mais interroger jusqu’aux évidences. Ma raison d’être serait d’examiner, de démonter et remonter les idées comme rouages, de lutter sans cesse contre la puissance de croire qui est formidable en chacun des hommes.

Aux vérités scientifiques, je préfère le tourment des hommes car si la science a une réponse universelle à l’établissement d’une vérité, les hommes, eux, ont des réponses désunies vers celle de « à chacun sa vérité ».Il en va du doute comme pour l’Homme, à chacun son caractère, ses convictions, sa façon de se comporter. Rigide ou rigoureux, de bonne conscience ou consciencieux, principe de précaution ou de vigilance, parfois tout nous oppose sous le même nom, doute.


Doute précautionniste : Je suis un doute involontaire, le doute ordinaire. Je viens après l’erreur, malgré moi, parfois à tort, mais je supporte mal l’incertitude. Je peux être triste d’avoir cru mais je préfère toujours croire et m’interroger ensuite, « au cas où... ». Je ne pense pas à mal, c’est juste que je ne prends aucun risque, le pire pourrait toujours advenir ; « il n’y a pas de fumée sans feu ». Je crois puis je doute. Je suis le doute de précaution, le doute précautionniste.


Doute prudent : Pour ma part, je suis un doute volontaire. Je préfère m’interroger avant pour ne pas me tromper. Je regarde vers l’avant en évaluant les risques. Avec l’humain le pire pourrait advenir, oui, mais le meilleur aussi. Je n’ai pas peur de suspendre mon jugement entre deux propositions contradictoires. On me dit « sel de l’esprit », je suis le doute prudent.


ASS : Travailleurs sociaux, notre responsabilité est de produire une protection sans abimer les personnes, les relations, les systèmes familiaux. C’est parfois une injonction paradoxale. Si nous n’avons pas de pouvoir de décision nous avons une capacité d’influence majeure : c’est sur la base de nos analyses et de nos données que vont s’organiser les choix des autorités, administratives et judiciaires.

Chacune de nos décisions d’agir ou pas est prise en fonction d’une masse d’informations, de données de valeur inégales, de raisonnements et de perceptions qui peuvent aisément être altérés par des parasitages préjudiciables pour ceux qu’il s’agit pourtant d’aider.

Le doute, inhibiteur ou fondateur, le doute fait partie de notre pratique. Qu’en faisons-vous ? Dans des situations de protection de l’enfance où le danger n’est pas manifeste, comment appréhender le risque de danger ?

Comment faire de cette incertitude un levier d’action ?


Doute :Prenons un exemple concret.

Imaginez que vous soyez en contact de par votre profession avec des gens ; Que votre profession consiste à aider les gens. Disons, travailleurs sociaux, avec des enfants. Les enfants on a envie de les protéger, toujours. Imaginez que vous soyez assistants sociaux auprès d’enfants, dans les écoles par exemple, assistant de service social en faveur des élèves. Une de vos missions serait l’intervention sociale de prévention en amont de la Protection de l’Enfance. Imaginez que nous cohabitions dans ce métier difficile de la relation d’aide, vous et moi, vous le sachant et moi l’inconnu, vous le sachant-faire et moi l’incertitude, vous le sachant-être et moi l’imprévisible, vous l’humain et moi le doute, vous le professionnel et toujours moi le doute. Vous et moi. Plutôt vous et nous, doute précautionniste ou doute prudent. Nous sommes toutes les possibilités, les probabilités, les croyances, les certitudes, les biais cognitifs, les impasses intellectuelles, les prises de risques, les préjugés, les conséquences supposés. Rappelez-vous maintenant un sentiment bien connu qui brouille la limite entre votre travail de prévention et la saisine d’un dispositif de protection. Ces alertes intellectuelles, dérangeantes mais nécessaires, intimement liées au difficile exercice de la relation d’aide, qui se traduisent souvent par « je ne sais pas », « c’est bizarre », « il y a quelque chose que je ne comprends pas, qui me dérange » « je n’arrive pas à saisir ce qu’il se passe » « c’est pas clair », « je ne sais pas quoi faire » « et si je fais pas d’IP... et si je fais une IP ... »… Eh bien ces questions c’est nous !

Face à un risque de danger, le doute a ses réponses.


Doute précautionniste :Pour moi, le doute précautionniste, c’est assez simple. Je considère que le risque de danger c’est toujours le danger qui pourrait arriver. Comme tout peut faire danger, en cas de doute j’agis. En cas de doute j’alerte. En cas de doute je contrôle pour ensuite, peut-être, avoir à protéger.. Protéger c’est ne prendre aucun risque car aucun risque n’est acceptable. Etre en sécurité est un droit, pour tout le monde, partout, tout le temps. Et j’attends de tous les membres de ma société qu’ils partagent les mêmes codes de la bonne parentalité. Je suis le principe de précaution. Dès lors, je dois profiter à toutes les victimes potentielles, vos enfants.


Doute prudent :Pour moi le doute prudent c’est la vigilance qui s’impose. Effectivement tout le monde peut être exposé à un moment de sa vie à un risque de danger. C’est un fait. D’ailleurs, comme le dit Laurent Puech, « Seules les personnes décédées ne risquent plus rien. » Le risque de danger c’est le degré d’exposition à un danger. Il faut agir pour protéger quand cela est nécessaire je le soutiens mais je préfère suspendre mon jugement quand rien n’est manifeste. Aux parents parfaits tout comme à la quête du risque zéro je ne crois pas. La présomption d’innocence s’applique en droit pénal. Je me demande si elle ne devrait pas s’appliquer en droit des familles? Tant que je n’ai pas de certitude je dois continuer d’être vigilant et de travailler pour avoir des éléments probants avant d’agir.


Doute :Prudent ou précautionniste, je ne suis ni laxiste ni une invitation à ne pas agir ou trop agir. Je suis plus décidé qu’il n’y paraît. Je considère qu’une personne exposée à un danger est aussi exposée à des ressources, des outils, des soutiens. Je suis décidé et raisonnable. Je suis l’instrument de mesure du seuil à partir duquel une protection doit être déclenchée sans écraser les espaces de responsabilités et de libertés des personnes. Pour aider et protéger, d’abord ne pas nuire.


Pour résumé, je dirai que douter est un choix.

• Douter c’est d’abord choisir entre le confort des certitudes (doute précautionniste : j’agis pour pouvoir vérifier mes incertitudes ensuite) et l’inconfort du « penser contre soi ».(doute prudent : je pense contre moi-même, au-delà des évidences, avant d’agir.)

• Douter est un choix entre une éthique de conviction (doute précautionniste : je doute au bénéfice d’un dispositif) et une éthique de responsabilité (doute prudent : je doute au bénéfice des personnes.)

• Douter c’est le choix impossible entre un idéal de protection (doute précautionniste : Agir par l’excès permet de ne passer à côté d’aucune situation !) et son application vertueuse pour soi et

les personnes que l’on accompagne : (doute prudent : Comment protéger certains sans Insécuriser tout le monde ?)


ASS : Au commencement de notre réflexion sur le doute nous nous étions posés la question de savoir comment éliminer le doute pour passer à l’écrit dans une situation de risque de danger. Après avoir creusé cette notion de doute nous nous sommes rendus compte que l’on pouvait au contraire l’intégrer, et même le cultiver, comme un outil de recherche d’objectivité.



 
 
 

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